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Mechanical vertigo de Pierryl Peytavi


Tout au fond du regard, en bas. Un plongeon au bout de l’œil et les dizaines d’étages s’avalent d’un seul coup, l’attention se focalise, glisse le long des murs sans pour autant rassurer l’impression du visible. L’immeuble est haut. Les rues sont si loin, droites, sécantes, une géométrie d’asphalte qui révèle seule la marche inlassable des voitures ; un chapelet coloré qui, de ma position haute, glisse lentement en silence. Un silence de façade. Car, dans les rues, le bruit comble tous les interstices. Les voitures. Ce sont elles les habitantes. Ce sont elles qui vivent dans la ville, la façonne, qui lui dictent sa forme, sa façon d’être, ses structures et ses évolutions. Elles qui creusent leurs pistes et leurs galeries, leurs grottes où dormir, leur place où s’agglutiner, leur civilisation où circuler. Comme des êtres vivants à la respiration fumeuse, sifflante et rocailleuse, qui tiennent attachés à leur volant la fausse indépendance de leurs propriétaires. Jusqu’à les posséder parfois sans qu’ils s’en aperçoivent. Car ils ne voient pas cela. Car ils ne pensent pas à cela. Leur regard attaché à un semblant de songe, comme les pointillés d’un fil, les mène et les conduit sans détour au mythe originel : le mouvement sans limite, la vitesse sans contrainte, la découverte et l’espace, la force d’une perte d’adhérence face à la réalité, à son dérapage… avec autour de chacun d’eux la saturation sensorielle qui emporte, yeux, ouïe et odorat confondus, dans une débauche de couleurs floues et de vitesse bruyantes surchauffées. Là où le corps rompt ses limites, où ses frontières s’estompent, où le soi est un mangeur d’espace et s’évapore vers l’univers de la fureur de vivre. C’est cet engouement, cette folie originelle de l’homme pour l’automobile qui transparaît dans les photographies de Pierryl Peytavi. Un vertige mécanique qui déforme et libère, qui transcende et emporte.

Jean-Louis Bec

Pierryl Peytavi, photographe de la myopie
Photographe français, né en 1970, vit et travaille à Montpellier. Après des études d’Histoire, il se spécialise dans le domaine culturel puis se forme dans l’atelier photographique de Jacques Fournier et à l’école Image Ouverte alors dirigée par Serge Gal à Clarensac. La photographie, qu’il débute professionnellement en 2003, est pour lui un réel voyage intérieur. « Ce qui m’intéresse, c’est d’approcher les frontières de ce qui est spontanément visible dans le monde. Cette pratique photographique peut être définie comme une photographie de la myopie. Avec la myopie extrême on ne sait plus ce qui est défini ou indéfini ; ce qui est de l’ordre de la réalité ou de l’illusion. Il y a là aussi le plaisir de créer une nouvelle image à partir de quelque chose d’existant, mais que l’on ne voit pas sur le moment. Il y a une mise à distance du réel, relégué au statut de fantasme. Il s’agit d’un travail sur le détournement, le dépouillement, la dislocation, l’altération. »

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