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BIENNALE IMAGES ET PATRIMOINE

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© Philippe FOURCADIER

TANGER VILLE OUVERTE

Philippe FOURCADIER, Rachid OUETASSI, Jean-Pierre LOUBAT

Tanger, ville particulière, lieu de passage, lieu des passages. La géographie te fait une place face à l’Europe au bout de l’immense Afrique où l’irrépressible naissance humaine a lieu. La dispersion qui suit passe par Tanger comme une eau turbulente par le lit d’un fleuve. Tanger est un des lieux de ce flot millénaire. Pourtant cet écoulement des débuts de l’homme est inaudible aujourd’hui, perdu comme les courants marins qui nourrissent la Méditerranée.
La mémoire des passages est dissimulée mais Tanger n’a pas disparu de ces récits et ces récits n’ont pas disparu de Tanger. Ils se sont noyés dans la profusion des récits suivants, effacés par les successives modernités et la désagrégation de l’ancien.
Supposons à présent un passant de Tanger. Prêtons-lui une sensibilité au monde de la mémoire. Osons même une nostalgie, un goût à déceler les traces minuscules de choses disparues, et aussi la conviction que ce qu’il ressent n’est qu’un écho de ce qui a déjà été ressenti. Qu’il n’est pas différent des autres hommes, même des tout premiers. Et qu’ainsi, dès lors qu’il obéit à ces sensations, il retrouve les vivants et les morts par leurs mémoires mêmes, qui se mêlent à la sienne. La structure en échos de cette âme appropriée se nourrit alors des plus insignifiantes traces comme un orpailleur dans le flot du quotidien.
Il (le passant de Tanger) passe le long de la falaise du quartier El Hâfa, puis se dirige vers la vieille ville. Dès la porte de la Kasbah, il croise les impacts imperceptibles et foisonnants des mémoires précédentes à la sienne. Le parcours, qui depuis des millénaires conduit vers l’accès à la mer et le détroit, est identique, mais visite la ville. Tanger, qui s’est construite là, est bien plus qu’un port. La ville est la part d’un navire plus immense et plus ancien que ceux des Phéniciens. Même ceux de la rue Es Siaghins ont embarqué, mais depuis si longtemps que tous les récits qu’ils croient improviser sont anciens et profonds. Cette ville semble ne pas avoir d’habitants mais un équipage planétaire chargé de l’accumulation des histoires et gardien d’un ordre poétique du monde. Il veille à l’équilibre entre ce qui doit être oublié et ce qui doit être retenu. D’ailleurs la cinémathèque, son écran restreint et l’ombre de sa salle sont une oasis propice aux réceptions de la mémoire. Elle protège l’esprit du paysage immense de Tanger.
La mer, sous le ciel, défile. Au nord et en silence, l’Atlantique passe en Méditerranée comme autant d’âmes de la vie en Paradis. Les places des vivants sont, depuis toujours, retenues dans ce flot. Le passant poursuit sa route sans hâte. Les pas qui lui font gagner le port de commerce piétinent les pas précédents de ses frères inconnus. « Ô Frères passants, dans le minuscule de mon être, je sens votre présence puissante qui m’accompagne. Chaque mur de Tanger a été sculpté par votre ombre légère et votre souffle fatigué a creusé ces ruelles. Où êtes-vous ? Innombrables ? » La première goutte de pluie qui frappe ici la terre exhale à chaque fois le parfum d’une vie fugitive. « Où êtes-vous, porteurs de mémoires si peu chargés de bagages ? La goutte solaire de chacun de vos regards disparus est cette perle que les vagues de Méditerranée dérobent au soleil avant de déferler. » Leur ressac bruisse jusque dans les jardins de la Mendoubia comme l’écho de l’écho d’un cœur éloigné.

Jean-Claude Feuillarade

L'EXPOSITION "TANGER VILLE OUVERTE" avec Philippe FOURCADIER, Jean-Pierre LOUBAT et Rachid OUETASSI aura lieu du 14 janvier au 17 février 2014 au Collège Diderot ZUP Nord (601 Rue Neper, 30900 Nîmes). Vernissage le mardi 14 janvier 2014 à 18h30